Voici le film français le plus remarquable vu depuis un sacré bout de temps. Un de ces superbes moments de cinéma qui nous cueillent quand on ne les attend plus.
L’histoire n’est en réalité qu’esquissée – et ce flou même, qui est aussi celui de la caméra d’Amalric parfois, participe à la poésie folle du film : on sait peu de la vie Joachim Zand, producteur de spectacles joué par Mathieu Almaric soi-même. Lors de son escapade parisienne désespérée, entreprise pour trouver une salle, le voilà contraint de croiser son passé dont il n’a que des bleus à recevoir. Son frère lui voue une haine féroce – scènes magnifiques, si l’on ose dire, sur la rivalité fraternelle –, le monde de la télé dont il vient lui présente ses lettres de créance avec violence, son ex lui sert un plateau de reproches avec une douceur décapante, ses fils lui rappellent par leur seule existence d’enfants qu’il a aussi des devoirs de père.
On n’en saura pas plus sur sa vie au fil de ces heures à fond de train, entre verres et cigarettes, toujours border line, toujours en danger. Et puis il rejoint sa troupe. La troupe de sa tournée. De véritables strip-teaseuses venues des Etats-Unis, que Mathieu Amalric a découvertes en France, dans leur spectacle de New Burlesque où les danseuses inventent leur show, choisissent leurs costumes, jouent de l’humour et de la sensualité dans leurs corps hors norme, débordant des canons esthétiques.
Puisque ces danseuses existent vraiment, puisque le cinéaste a réellement filmé leur tournée, on peut parler de documentaire. Mais l’idée est troublante, car à l’écran l’on voit avant tout une histoire au plus beau sens du terme, une fiction, une incarnation romanesque. Des filles grosses et belles qui s’éclatent sur scène et n’arrivent pas à aller se coucher, à se séparer, à affronter le silence et la solitude. Un manager qui leur en promet, les déçoit, mais dont elles savent qu’elles sont pour lui les seules bouées. De ce décalage avec le prosaïsme, l’uniformité et l’aseptisation de la société, de cette mélancolie entêtante qui les réunit tous, combattue par la tendresse, le rire et le mouvement incessant, Mathieu Almaric semble avoir créé un monde, dont il nous montre comme par effraction trois longues nuits et journées, et dont même les apartés, tapant en plein mille, sont des perles inespérées.
Tournée
Un film français de Mathieu Amalric
Avec Mathieur Amalric, Mimi Le Meaux, Dirty Martini, Roky Roulette, Kitten on the Keys, Evie Lovelle, Julie Atlas Muz
Durée 1 h 51
Sorti le 30 juin 2010
Photo © Le Pacte