Durant 2 h 35, le réalisateur de Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté nous plonge dans l’enfer du monde carcéral. On en sortira que lors de brèves permissions, lesquelles ne sont d’ailleurs que le prolongement d’un même univers : celui du trafic et de la violence.
Le cinquième long métrage de Jacques Audiard n’a pourtant rien d’un documentaire. Le cinéaste raconte une véritable histoire, par laquelle il fait naître et déploie des personnages de fiction, comme seuls les grands romans et les grands films savent le faire.
Au départ, on découvre un jeune arabe de dix-neuf ans, Malik, qui passe à l’ombre pour six ans pour avoir agressé un policier à l’arme blanche. Mais dans l’ombre, Malik paraît y avoir été depuis sa naissance. Famille ? Amis ? Ecole ? Nada. Pense-t-il seulement, est-on tenté de se demander face à cette forme inachevée et muette qui entre là sans aide ni bagages, comme il semble avoir traversé sa courte vie.
La prison, avec ses clans et ses lois, lois arbitraires de la force, Etat dans l’Etat sans droit, amènera le jeune homme à subir de nouvelles règles et de nouveaux codes, puis à les accepter pour s’y adapter, et enfin à devenir quelqu’un.
Le film n’est que coups, virilité, injustice et noirceur. La morale n’a rien à voir dans cette affaire-là. Est-ce à dire que les questions humaines n’y ont pas leur place ? Naturellement non. Se déroulent sous nos yeux la formation d’un homme, la lutte pour la survie dans une société qui pour n’être point animale est bien humaine, mais aussi la chute d’un patriarche et le renversement des jeux de domination. En parallèle, grâce à l’amitié que Malik a nouée avec un ancien détenu, le monde extérieur existe, avec une femme, un enfant. Au début de l’histoire, ces valeurs-là ne semblaient pas exister pour le personnage.
Il est donc long le chemin parcouru par Malik pendant ces deux heures et demi. Pour le spectateur, ce temps long passe vite, tant le scénario est solidement construit (pas si évident qu’il n’y paraît, surtout avec ses excursions hors de prison), tant le fils de Michel Audiard maîtrise son entreprise, filme magnifiquement les lieux et les personnages, et tant ceux-ci sont interprétés de façon saisissante.
Un prophète
Un film de Jacques Audiard
Avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif
Durée : 2 h 35