Après l’abandon de son projet de musée pour l’ïle Seguin à Boulogne-Billancourt, François Pinault s’est tourné résolument vers Venise, où il a commencé par acquérir et rénover le Palazzo Grassi pour y exposer certaines des quelque 2 000 œuvres que compte sa collection d’art contemporain. Une vocation non exclusive d’ailleurs puisqu’on a pu y voir, il y a deux ans, une très riche et belle exposition sur Rome et les Barbares.
Mais ce passionné d’art contemporain ne s’en est pas tenu là. Grâce à un partenariat de 33 ans conclu avec la Ville en 2007, il a récupéré, moyennant travaux, la disposition de la Punta della Dogana, anciens entrepôts de mer à l’abandon depuis des décennies.
Imposant pour sa rénovation une nouvelle fois le Japonais Tadao Ando, lauréat du prestigieux Pritzker Prize en 1995, architecte de la rénovation du Palazzo Grassi, François Pinault a ouvert en juin dernier après près d’un an et demi de travaux un magnifique espace d’exposition. Découvrant Mapping The Studio dans sa partie présentée à la Punta della Dogana (l’autre est visible au Palazzo Grassi), le visiteur a la conviction que la collection Pinault a trouvé ici son parfait écrin.
Le lieu est magique, pris par tous les vents et toutes les lumières, à l’extrême pointe de la Dorsodura juste après la basilique Santa Maria della Salute, entre le Canal de la Giudecca et le Grand Canal, en face de Saint-Marc.
A l’intérieur, percé à l’étage de grandes fenêtres en demi-cercles et au niveau des rives de hautes portes aux grilles dessinées selon un modèle de Carlo Scarpa, l’intimité avec les œuvres n’est interrompue que par celle avec le ciel, l’eau, la lumière changeante de la Sérénissime selon l’heure et le côté où l’on se trouve.
Le bâtiment du XVIIème siècle totalise des espaces de près de 5 000 m², tout de briques roses, de béton lisse et de blanc immaculé. Après la première salle monumentale, qui semble ne faire qu’une avec les œuvres exposées, tant les accrochages et les choix sont judicieux et, malgré leur diversité, d’une cohérence remarquable, l’on circule d’une pièce à l’autre dans une déambulation où les surprises et les chocs se succèdent, l’esprit constamment en alerte et le plus souvent en émoi.
Pour l’essentiel, le parcours nous plonge dans du "lourd", que seule la grâce vénitienne semble pouvoir supporter : à L’Enfer des frères Chapman répondent les neufs gisants de marbre de Maurizio Cattelan, le couple mort peint par Marlène Dumas, ou, un peu plus loin, les squelettes en vitrine de Matthew Day Jackson. Aussi sombres soient-elles, ces œuvres n’en sont pas moins magnifiques de force suggestive et esthétique. Une émotion qui s’épanouit de tout son soûl dans le "cœur" du bâtiment, la vaste salle carrée à l’endroit de l’ancienne cour centrale, consacrée par les commissaires Alison M. Gingeras et Francesco Bonami à l’artiste italien Rudolf Stingel : trois immenses toiles au motif de grillage et un autoportrait – une photo militaire de 1976. L’espace prend tout à coup l’air à la fois de bunker, dans une évocation très forte de l’enfermement physique et mental, et de lieu de recueillement, avec ses fenêtres de toit laissant passer la lumière naturelle.
L’exposition offre également des moments de détente, avec les superbes cubes scintillants de Rachel Whiteread – bien à leur place dans cette cité du verre, les photos rutilantes à l’humour mordant de Cindy Sherman, celles en noir et blanc de Hiroshi Sugimoto dédiées aux plus grands couturiers, le couple tendrement enlacé de Jeff Koons ou encore la série de 676 images publicitaires recueillies par le duo d’artistes suisses Fischli et Weiss. Mais aucune œuvre qui n’incite à la réflexion dans ce parcours très réussi.
Mapping the Studio
Venise, Punta della Dogana et Palazzo Grassi
Tous les renseignements y compris en français sur : www.palazzograssi.it