La jeune femme narratrice du prix Goncourt 1962 est un personnage attachant, bien qu’elle apparaisse assez compliquée à son entourage. On sait peu de choses sur elle, mais on sait l’essentiel : une douleur fondamentale, un deuil indépassable, qui lui font refuser les relations avec ceux qui l’approchent. C’est qu’elle est hantée par les fantômes de ses parents et de son ami, qu’elle a perdus en Pologne, durant la guerre.
Elle consent à suivre pourtant celui qu’elle appelle le vieil homme, dont elle accepte l’amitié. Arrivés dans le Midi, leurs rapports changent. L’homme gentil et prévenant se découvre amoureux, et celle qu’il nomme Maria (on ne saura jamais son « vrai » prénom) le repousse et l’attire alternativement. Elle fait la connaissance sur la plage de trois « enfants », dont deux sont plutôt des adolescents, et s’attache à Anny, malheureuse en famille et qui finit par se suicider.
Maria navigue entre deux mondes, celui de son passé, avec ses morts qu’elle continue de fréquenter, et le monde du présent qui la désarçonne bien souvent. La difficulté à rester la survivante domine le récit : « Pour vous, maintenant, tout est facile, bien sûr. Mais moi ! Moi, me direz-vous ce que je dois faire ? Qu’est-ce qui m’oblige à me traîner ainsi de jour en jour, interminablement ? Et pourquoi me faut-il l’accepter ? Pour quelle raison ? Qui l’ordonne ? »
La question du temps est lancinante, et au moment de la rupture, d’avec le vieil homme et d’avec le temps des vacances prolongées dans le Midi, elle constate : « Voici un galet, lisse et froid, d’une teinte indéfinissable, que j’ai ramené de la plage –souvenir d’une enfance perdue que j’ai si vainement cherché à revivre l’été dernier. Une autre fuite pour n’avoir pas à payer mon évasion avec le vieil homme. Un jour, peut-être, n’aurai-je plus à me dérober, un jour je deviendrai peut-être semblable à un galet lisse et froid, oublié sur une plage, ayant enfin trouvé la forme parfaite pour échapper au temps ».
Anna Langfus est malheureusement une auteure oubliée. Polonaise ayant trouvé refuge à Paris après avoir subi les sévices de la Gestapo et connu l’extermination de sa famille, elle a eu une carrière littéraire courte (elle est morte à 46 ans) mais très appréciée à chaque sortie de ses trois romans. Ses pièces de théâtre ont aussi évoqué la Shoah. Le prix Goncourt ne permet pas toujours d’éviter l’oubli, mais peut parfois aider à redécouvrir.
Andreossi
Les bagages de sable, Anna Langfus