A la fois mémoires d’une longue histoire d’amour commencée en 1906 et consignée en 1971, autobiographie sélective et carnets de voyage d’un hôte fidèle, Venises est sans doute le "classique" pour commencer avec Venise, si l’on ne l’a pas déjà fait avec Marcel Proust.
Proust que l’on croisera très vite avec Morand, qui aime à rappeler sa rencontre avec l’écrivain, à évoquer leur commune fascination, et qui à son sujet observe :
« Où était la Venise de Proust, sinon en lui-même ? A travers toute la Recherche, Venise restera le symbole de la liberté, d’affranchissement contre la mère, d’abord, ensuite contre Albertine ; Venise c’est l’image de ce que la passion l’empêche de réaliser ; Albertine lui cache Venise comme si l’amour offusquait tous les autres bonheurs. »
La promenade dans les Venises de Paul Morand a le charme des souvenirs splendides mais un peu lointains, ce parfum poudré des salons aux ors vieillis mais dont subsiste l’essence, résistance au temps et aux temps, raffinement obstiné, vénération de ce qui est beau et ne s’oubliera pas.
La plume fine comme une lame de Paul Morand ne paraît aujourd’hui nullement émoussée ; par ses formules géniales, tour à tour lyriques ou satiriques, il continue d’enchanter.
Dans le texte consacré au marché du Rialto, il nous fait même rêver. Cette Venise-là existe-t-elle encore :
« Dans la cuisine italienne, le rôle des herbes, peu utilisées ailleurs, vendues par de vieilles herbières édentées ; une alchimie de fanes, de laîches des marais, de cresson doux, de mélisses, de lichens comestibles ; dix variétés de cerfeuils, des menthes à l’infini, origan, marjolaine, de petites mousses d’assaisonnement qui, écrasées, composent les sauces, dont cette salsa verde, arrosant le bouilli, inconnues même en Provence. » ?
Venises. Paul Morand
L’Imaginaire Gallimard (1971) 215 p.