Le musée Soulages à Rodez

Eau-forte VIII, 1957 Donation Pierre et Colette Soulages
Eau-forte VIII, 1957
Donation Pierre et Colette Soulages

« Les musées ne m’inspirent pas vraiment. Le regard sur le passé m’a toujours ennuyé. Mais ennuyé au point que le mot n’est pas assez fort… Ce qui me préoccupe, ce n’est ni aujourd’hui ni le passé, c’est ce que j’ai envie de faire demain. »

En lisant ces mots de Pierre Soulages, l’artiste contemporain français le plus connu dans le monde, on comprend que l’installation d’un musée à son nom n’a pas été simple. Cette aventure est très bien expliquée dans la revue Urbanisme (été 2015, n° 397), dans laquelle on peut lire aussi l’intégralité de l’entretien dont sont issus les extraits cités ici.

Pierre Soulages, l’enfant de Rodez, qui y vit le jour en 1919, n’était en effet pas favorable à un musée monographique, qui selon lui perd de son attrait au bout de quelques années. Pour le décider, il a fallu repasser par Conques : ce sont d’abord les travaux préparatoires aux célèbres vitraux de la splendide abbatiale de Sainte Foy de Conques, que l’artiste a accepté d’exposer, compte tenu de la proximité géographique avec Rodez. « Les cartons, puis les gravures, ce qui est sur papier, et la peinture, les peintures d’enfance… de proche en proche, l’ensemble s’est construit progressivement, ce n’était pas une pensée constituée dès le départ » raconte l’artiste qui a finalement consenti deux importantes donations au musée, réunissant quelques 500 pièces au total (peintures sur toiles, sur papier, ensemble des estampes, bronzes, cartons des vitraux de Conques).

Il s’agit désormais de la plus grande collection au monde de Pierre Soulages, abritée dans un écrin conçu par les architectes catalans RCR Arquitectes. De l’extérieur, ce sont de grands cubes de verre et surtout d’acier Corten (couleur rouille, comme celle du brou de noix utilisé par le peintre) ; à l’intérieur, de l’acier encore, d’un gris profond celui-ci, recouvre les sols et les murs des premières salles. Conformément à ce que souhaitait l’artiste, afin d’éviter l’écueil de « l’usure » de la monographie dans le temps, sur les quelques 6 600 m² du bâtiment, 500 m² sont réservés aux expositions temporaires, afin d’accueillir d’autres artistes contemporains.

Dès l’ouverture du musée le 30 mai 2014, le succès a été au rendez-vous : sur la première année, plus de 250 000 visiteurs se sont déplacés dans la préfecture aveyronnaise, qui compte 57 000 habitants agglomération comprise.

Le conservateur du musée, Benoît Decron, également directeur des musées du Grand Rodez, a mis en place un billet unique (9 € en plein tarif) qui permet de visiter en plus les deux autres musées ruthénois : le musée Fenaille, musée de l’histoire du Rouergue, où sont exposés notamment les célèbres statues menhir (lire le billet d’Andreossi sur ce point), ainsi que le musée des Beaux-Arts Denys-Puech, tous deux ayant du coup enregistré de belles hausses de fréquentation. Cette variété de propositions est judicieuse et en définitive très agréable pour le visiteur qui, autrement, n’aurait peut-être pas eu l’idée de découvrir ces deux autres musées.

Dernière chose importante à savoir : Michel et son fils Sébastien Bras, à la tête du célèbre restaurant triplement étoilé sur l’Aubrac, ont ouvert au musée Soulages un « Café Bras » où l’on peut soit « grignoter » leurs créations, soit s’installer pour un repas complet à prix raisonnable (31 €) et de très belle qualité gustative et de fraîcheur. Même sans les étoiles, il serait dommage de passer à côté, il est donc plus sage de réserver (en deux clics sur le site).

Voilà pour l’essentiel du « factuel ». Reste le « sensible »…

Pierre Soulages Peinture, 162 x 114 cm, 27 août 1958, huile sur toile Donation Pierre et Colette Soulages
Pierre Soulages
Peinture, 162 x 114 cm, 27 août 1958, huile sur toile
Donation Pierre et Colette Soulages

Le bâtiment, l’artiste le dit lui-même, est « magnifique ». Il va comme un gant à l’endroit où il se situe, dans le jardin du foirail, au pied de la cathédrale de grès rose (à admirer au soleil du soir, et en profiter pour la visiter, elle est remarquable).

L’intérieur est un enchantement : on adore l’exposition des œuvres sur ce fond acier, qui tranche avec ce qu’on avait vu à Beaubourg (inoubliable rétrospective de 2009-2010, qui avait accueilli plus de 500 000 visiteurs), merveilleusement mis en scène sur fond blanc. Ici, le gris intense satiné fait ressortir la profondeur des œuvres, qu’il s’agisse des peintures ou des fragiles œuvres sur papier. On n’est guère surpris par les explications présentant les différentes techniques (eaux-fortes, lithographies, sérigraphies) : elles renvoient à la passion de Pierre Soulages pour l’artisanat, la fabrication, les essais, les aléas de la création… La rue où l’artiste a vu le jour à Rodez (la rue Combarel) était en effet à l’époque truffée de toutes sortes d’artisans, chez qui l’enfant était toujours fourré. Il raconte lui-même qu’ils l’ont beaucoup marqué. En admirant les différents supports qu’il a travaillés, on retrouve bien cet attrait pour le matériau, les outils, le travail d’élaboration…

L’ensemble de l’œuvre depuis 1946 est représenté, y compris (elles sont rares) des sculptures en bronze. Devant certains tableaux et estampes, on est pris d’une forte émotion. Jamais l’on ne saura ce que nous disent vraiment ces œuvres abstraites, et pourtant comme cette mystérieuse parole faite d’huile et d’encre touche à quelque chose d’essentiel… Les outre-noirs sont exposés avec un éclairage très particulier, quelques spots savamment dirigés et beaucoup de lumière naturelle filtrée. On ne voit presque plus de noir, mais du gris, des reflets marrons, jaunes, et évidemment beaucoup de matière. Très surprenant !

Last but not least (c’est même l’origine du musée, au contraire, comme on l’a dit) : la salle consacrée aux travaux préparatoires des vitraux de Conques. Cartons, échantillons de verre, explications et passionnant film montrant le patient et obstiné processus créatif de ceux-ci par Pierre Soulages.

Le bleu de l'oeil Claude Levêque
Le bleu de l’oeil
Claude Levêque

C’est donc sur ses propres mots (comme on l’aime le voir et l’entendre, on pourrait y rester des heures !) que la visite se termine. Sauf à la prolonger de quelques minutes, ce qui est conseillé, pour découvrir, jusqu’au 27 septembre 2015, l’installation lumineuse de l’artiste contemporain Claude Levêque, « Le bleu de l’oeil », dans la salle d’exposition temporaire. Elle est très belle, à la fois enveloppante et ouverte sur d’autres champs, et ne contraste pas autant qu’on l’aurait pressenti avec l’œuvre de Pierre Soulages. Comme si, ici, tout se tenait.

Musée Soulages

Jardin du Foirail, avenue Victor Hugo – 12 000 Rodez

Entrée 9 € (TR 5 €) – billet unique (valable 1 mois), donnant accès aux musées Soulages, Fenaille et Denys-Puech

Café Bras

 

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Soulages. Centre Pompidou

Exposition Soulages à PompidouL’art de Pierre Soulages est presque une définition de l’art, quelque chose qui nous dépasse et qui nous fait connaître en même temps une expérience de présence au monde parmi les plus fortes, en nous rapprochant du réel, du tangible, de l’humain et de l’infiniment beau.
Son art réunit la sophistication la plus extrême, la simplicité la plus désarmante, la matérialité la plus palpable et les jeux d’optique les plus troublants. Il utilise le noir le plus prégnant pour mieux convoquer la lumière. Il impose une énergique volonté en privilégiant des dimensions monumentales et en choisissant lui-même la façon d’installer ses œuvres. Mais il donne tout le loisir au spectateur d’y tourner autour pour les voir sous de multiples perspectives, de laisser son imagination vagabonder au delà des motifs, des lignes, de l’obsessionnelle non-figuration. Peintre de l’abstraction totale, il est tout autant celui de la matière, goudron sur verre, brou de noix, papier, peinture épaisse, toile.

La rétrospective que le Centre Georges Pompidou consacre à ce jeune nonagénaire, très réussie dans ses choix et dans sa scénographie, permet d’embrasser en mêmes temps et lieu l’ensemble du parcours du peintre Ruthénois. L’on y voit que tout se tient, qu’une étape de son travail en annonce une autre, que les "ruptures", même la révolution de l‘outrenoir n’en sont pas, mais la conséquence logique d’un cheminement cohérent. Telles apparaissent ainsi ses recherches sur la lumière, tantôt en choisissant le verre pour support, tantôt à travers le blanc de la toile strié de noir où la lumière semble passer comme par les interstices d’un volet, ou encore celle qui court sur les effets de peinture, où l’alternance des mats et des brillants créent autant d’effets différents.
Rétrospectivement, on comprend mieux pourquoi il a réalisé les vitraux en verre translucide blanc (une idée de génie) de la splendide abbatiale romane de Sainte-Foy de Conques dans l’Aveyron.

D’ailleurs, au sujet de ses fameux noirs et outrenoirs, ne dit-il pas : "Les gens croient que c’est du noir parce qu’ils ont du noir dans leur tête, en réalité, il s’agit de reflets sur les états de surface de la couleur noire."
Car il est très agréable aussi, au fil de l’exposition, de lire les belles phrases de Pierre Soulages, comme : "La réalité d’une œuvre, c’est le triple rapport qui s’établit entre la chose qu’elle est, le peintre qui l’a produite et celui qui la regarde"
Ou encore : "Ce qui importe au premier chef, c’est la réalité de la toile peinte : la couleur, la forme, la matière, d’où naissent la lumière et l’espace, et le rêve qu’elle porte". On ne saurait mieux dire.

Soulages
Centre Georges Pompidou – Paris IV°
M° Rambuteau
Jusqu’au 8 mars 2010
TLJ sf le mardi, de 11 h à 21 h
Entrée 12 € (TR 9 €)

Image : Soulages © Centre Pompidou

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Les statues-menhirs du musée Fenaille à Rodez (Aveyron)

Les statues-menhirs du musée Fenaille à Rodez, Notre-dame-de-st-SerninLe musée Fenaille est au cœur de la ville, et il faut monter au dernier étage du bâtiment pour découvrir le trésor du musée : 17 statues-menhirs, bien plantées dans le sol, et certaines de belle taille (2 mètres).

Il s’agit de véritables statues, qu’on a pris l’habitude d’appeler aussi menhirs parce qu’elles se trouvaient, comme leurs cousines non sculptées ou gravées, dressées dans les champs et prés du Rouergue des alentours. Elles sont datées de l’âge du cuivre dit-on, c’est-à-dire pour cette région de 3000 ans avant le Christ.
Ce sont incontestablement des statues. Certes les artistes ont décidé de ne pas dégager les têtes : les visages sont dans les épaules. Mais on reconnaît les yeux, parfois le nez, les jambes et les pieds, les bras et les mains, des scarifications ou tatouages sur le visage, les seins pour les « féminines ». Les personnages sont assis, portent de longs vêtements, une ceinture parfois avec une boucle.

Ce ne sont pas des individus qui sont représentés, mais des fonctions, qui nous demeurent inconnues. On sait cependant que l’on peut nettement distinguer les deux genres : le fourreau du poignard, parfois arc et flèches caractérisent les statues masculines. Les colliers, les pendeloques en Y ne sont présents que sur celles où sont sculptés ou gravés des seins.

Ces pierres nous parlent encore. La disposition des œuvres, l’ambiance du musée, permettent le face à face. C’est le peintre Pierre Soulages, Rouergat comme ces statues, qui dit l’essentiel : « Ces statues-menhirs se présentent comme des œuvres hors d’un temps, d’une consistance indéfectible. C’est la densité, la frontalité, l’impression d’une puissance permanente » (1).
En redescendant les étages, on parcourt le Rouergue gallo-romain, puis moyenâgeux, et Renaissant (dans le bel hôtel de Jouery). Mais les puissances de pierre ne nous lâchent pas. Parions que c’était bien là l’intention de ceux qui ont voulu « arracher au bloc inerte une présence humaine ».

Musée Fenaille
14 place Raynaldy à Rodez (Aveyron)
mar., jeu. et ven. de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h
mer. et sam. de 13 h à 19 h, dim. de 14 h à18 h
Entrée 3 € (TR 1,50 €)

(1) Statues-menhirs, sous la direction d’Annie Philippon, Editions du Rouergue, 2002.

Image : Notre-Dame-de-Saint-Sernin

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Le musée Fabre. Montpellier (3/3)

pierre soulagesSuite et fin de la visite du musée Fabre avec le XXème siècle.

Après les néo-impressionnistes, fauvistes et autres Delaunay, voici, entre figuration et abstraction, le Couloir de l’Ecole de Paris : s’y se succèdent des tableaux de Nicolas de Staël, Zao Wou-Ki, Vieila Da Silva … en une superbe galerie monochromatique aux couleurs de terre et de sable.

Une salle à droite révèle les étonnantes sculptures de Germaine Richier, qui cohabitent avec deux têtes de Bourdelle, dont elle fut l’élève : le Loretto, adolescent au corps disproportionné, dans un style expressionniste très marqué. Avec la Chauve-souris, Germaine Richier a utilisé pour la première fois la filasse plongée dans du plâtre puis égouttée et étendue : voici que se déploie en une fine résille la fragilité de la membrane des ailes de chauve-souris.

Il est temps désormais d’aller méditer sur la lumière et les multiples nuances des fameux noirs du ruthénois Pierre Soulages. L’importante donation qu’il a faite au musée Fabre a justifié l’aménagement, auquel il a participé, d’une nouvelle aile.

L’exposition des tableaux, espacés sur fond blanc met superbement en valeur les noirs, mais aussi les rouges, bleus, blancs qui s’y marient, sans oublier ce cher « brou de noix ».

L’artiste a également choisi des accrochages plus originaux, avec les polyptyques : invention médiévale, ils permettent de déployer horizontalement ou verticalement les panneaux, le plus souvent accolés, mais parfois séparés.
Le fait est qu’ils mettent magnifiquement en lumière les différentes textures de noir.

Mais attention, à la salle suivante, on passe de la mise en valeur à la mise en scène, avec des accrochages réalisés sur des câbles d’acier ancrés dans le sol et au plafond, fixés sur les champs du châssis, technique utilisée lors de la rétrospective au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris en 1980.
« Lorsque vous défilez devant la première rangée, explique Pierre Soulages, vous voyez apparaître, tour à tour, les toiles qui sont derrière la première rangée, puis la deuxième rangée, dans une ordre qui n’es pas fixe, permettant ainsi une confrontation plus libre que celle qu’impose la succession des toiles sur les murs ».
Le résultat ? Les toiles étant immenses, il est tout simplement spectaculaire.

Après l’exposition inaugurale La couleur toujours recommencée, hommage à Jean Fournier marchand d’art, paraît-il superbe, le musée Fabre accueillera du 9 juin au 9 septembre 2007 une exposition consacrée à Monet, Renoir, Sisley, Degas … : L’impressionnisme vu d’Amérique.

Bonnes visites !

Musée Fabre
39, boulevard Bonne-Nouvelle à Montpellier (34000)
Tel : 04.67.14.83.00
Tramway : Corum et Comédie
Ouvert tlj sauf le lundi de 10 h à 18 h
le mercredi de 13 h à 21 h et le samedi de 11 h à 18 h
Entrée : 6 € (TR 4 €)
Accessibilité complète aux personnes handicapées
Guide du musée Fabre (Réunion des musées nationaux)
Ouvrage collectif sous la direction de Michel Hilaire
232 pages, 15 €

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