Si vous vous interrogez sur les questions essentielles de l’existence, demandez à un moine, il vous prêtera des films qui vous aideront. Si vous apprenez que vous êtes le père d’un enfant conçu par hasard dans la douceur d’une serre, allez planter une rare rose dite à huit pétales dans un jardin à des milliers de kilomètres de chez vous. Si vous venez de perdre votre mère, à 22 ans, essayez de vous rappeler comment elle réussissait la soupe au flétan, ça peut servir à votre père.
Mais surtout, si la mère de votre enfant, relation d’un quart de nuit, vous rejoint pour vous faire garder Flora-Sol pendant qu’elle rédige son mémoire de génétique, attendez-vous à craquer complètement : d’abord pour l’enfant, car ce n’est pas forcément le parent qui fait l’enfant, mais l’enfant qui fait le parent ; ensuite pour la mère, car ce n’est pas le désir de vivre ensemble qui fait le couple, mais le couple qui construit la relation amoureuse.
Audur Ava Ólafsdóttir, romancière Islandaise, aime prendre à rebours les pensées les plus communes. Mais elle le fait avec une telle tranquillité, une telle évidence, avec une naïveté si désarmante (et sans nul doute fausse) que nous sommes (nous, les milliers de lectrices et lecteurs) proprement embarqués dans ce récit qui, s’il ne nous dit pas les noms des lieux, nous parle du mystère des relations entre humains, que l’on vive dans le froid d’une île nordique ou dans la douceur méditerranéenne.
Un des charmes du livre tient peut-être à ce paradoxe : c’est une femme qui fait parler, penser, réagir un jeune homme, car c’est lui le narrateur. Elle lui donne des compétences acquises grâce à sa mère, comme palper le tissu pour distinguer dralon et mousseline, ou l’amour des plantes, et des roses en particulier. Contagion des genres… Mais par ailleurs, le personnage le moins connu du roman, et aussi très attachant, est la jeune Anna, nouvelle mère et future généticienne. Comme s’il était plus facile, pour la romancière, d’imaginer ce que peut être un garçon d’aujourd’hui que de rendre compte de la complexité de la situation d’une jeune femme, dans ses rapports à un homme, à l’enfant, à son devenir professionnel. D’un côté, un père attaché à son jardin et à son enfant, dont on a suivi l’évolution logique, de l’autre une jeune femme face à un avenir ouvert, dont on ne peut que deviner les désirs : décidemment, Audur Ava Ólafsdóttir nous a bien embarqués.
Rosa Candida
Audur Ava Ólafsdóttir
Zulma (2010)
336 pages, 20 €