Après l’avoir créé au Théâtre national populaire de Villeurbanne (Rhône) dont il est le directeur, le metteur en scène Christian Schiaretti montre « son » Roi Lear au Théâtre de la Ville à Paris jusqu’à la fin du mois. Il ne reste qu’une poignée de dates, alors précipitez-vous pour réserver la vôtre car cette production est une réussite totale. Une soirée de plus de trois heures de pur plaisir.
A la base, un texte formidable : la renversante pièce de Shakespeare – drame, humour et poésie tout mêlés – dans la traduction ciselée d’Yves Bonnefoy. Pour le servir, de superbes comédiens, avec une sorte d’OVNI au milieu (on adore quand Schiaretti dit à son propos : « Il est d’un métal inconnu », tant ceci est vrai), dans le rôle-titre : Serge Merlin, 81 ans à ce qu’on dit, un corps frêle et agile comme celui d’un oiseau, une barbe de philosophe grec, des yeux brillants comme l’émeraude et vifs comme l’éclair. Il interprète un Roi Lear des plus humains, aveuglé par son orgueil et d’une susceptibilité sans mesure, qui se comporte comme un vieillard retombant en enfance. La fragilité croissante du roi, de plus en plus démuni – et lucide – au fil de la pièce, Serge Merlin la restitue parfaitement, dans un jeu d’une variété inouïe, de l’être hurlant son ire à travers la lande, mains et regard interpellant les cieux, à la pauvre silhouette qui ne tient debout que par la force de son amour paternel lorsqu’à la fin il retrouve Cordélia.
Princes, filles, chevaliers, fou, sbires : ils sont tous excellents aussi, avec peut-être des coups de cœur tout particuliers pour Pauline Bayle, touchante à point dans le rôle de la pure Cordélia, Vincent Winterhalter dans celui du fidèle Kent, Philippe Duclos, parfait comte de Gloucester ou encore Christophe Maltot dans le rôle de son loyal fils Edgar.
La mise en scène est impressionnante de simplicité et d’efficacité : une scène circulaire ceinturée de murs percés de larges ouvertures, le tout d’un même bois clair, tient lieu d’unique décor. Des costumes d’époque, quelques accessoires et un jeté de terre fraîche complètent ce cadre sobre. Lumières, son et direction d’acteurs font le reste. Quand on doit être à la Cour, on y est (spectaculaires entrées en scène), quand on doit être dans la lande on y est (quel orage !… puis quel clair de lune…). Comme si la duperie sur laquelle est fondée la pièce de Shakespeare fondait aussi la mise en scène. Mais comme il est bon d’y « croire » aussi facilement, de se laisser emporter si loin et aussi longtemps par cette duperie merveilleuse qu’est le théâtre !
Le Roi Lear
de Shakespeare
Mise en scène de Christian Schiaretti, scénographie et accessoires de Fanny Gamet
2 place du Châtelet – Paris 4e
Tél. 01 42 74 22 77
Jusqu’au 28 mai 2014
Puis au Bateau Feu, à Dunkerque, les 4, 5 et 6 juin 2014