Vincent Colin a adapté, pour mieux les mêler, deux textes qui se répondent tendrement : celui de Victor Hugo, L’art d’être grand-père, ouvrage poétique de 1877, et celui de Georges, son petit-fils, qui a publié un texte de souvenirs de son aïeul en 1902.
A la mort prématurée de son fils Charles, Victor Hugo joue auprès de ses petits-enfants Jeanne et Georges à la fois le rôle de père et celui de grand-père. Surnommé par eux "Papapa", il en était totalement gâteau. Il leur racontait des histoires, dessinait pour eux des petites images qu’il leur donnait à titre de bon point, imitait les animaux, les promenait en forêt, et même essayait de leur décrocher la lune… Eux l’adoraient, ravis de trouver en cet adulte impressionnant un fidèle complice.
Ce lien magnifique, le travail de Vincent Colin le fait merveilleusement revivre, notamment grâce à un Albert Delpy étonnant de justesse dans sa barbe blanche et son ventre convexe : ses yeux roulent de malice, son sourire n’est que tendresse, sa voix veloutée se fait l’écrin idéal pour restituer la beauté des vers de Hugo.
Évoquant les souvenirs des enfants, la pétillante Héloïse Godet lui rend la réplique avec bonheur, tour à tour boudeuse, espiègle ou bondissante.
Dans un dispositif scénique très simple, le caricaturiste Victor Hugo est mis à l’honneur, quand, à d’autres moments, le même rond de lumière se prête aux jeux d’ombres chinoises pour mieux illustrer "le souvenir"…
Tout en émotions, voici un bel exemple de mise en scène de la poésie très réussie.
Extrait (La sieste) :
Elle fait au milieu du jour son petit somme ;
Car l’enfant a besoin du rêve plus que l’homme,
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel !
L’enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel,
Ses camarades, Puck, Titania, les fées,
Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées.
Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions,
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons,
Ces paradis ouverts dans l’ombre, et ces passages
D’étoiles qui font signe aux enfants d’être sages,
Ces apparitions, ces éblouissements !
Donc, à l’heure où les feux du soleil sont calmants,
Quand toute la nature écoute et se recueille,
Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille
La plus tremblante oublie un instant de frémir,
Jeanne a cette habitude aimable de dormir ;
Et la mère un moment respire et se repose,
Car on se lasse, même à servir une rose.
Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr
Dorment ; et son berceau, qu’entoure un vague azur
Ainsi qu’une auréole entoure une immortelle,
Semble un nuage fait avec de la dentelle ;
On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là,
Voir une lueur rose au fond d’un falbala ;
On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse,
Et c’est un astre, ayant de plus la petitesse ;
L’ombre, amoureuse d’elle, a l’air de l’adorer ;
Le vent retient son souffle et n’ose respirer.
Soudain, dans l’humble et chaste alcôve maternelle,
Versant tout le matin qu’elle a dans sa prunelle,
Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant,
Agite un pied, puis l’autre, et, si divinement
Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre,
Elle gazouille… — Alors, de sa voix la plus tendre,
Couvrant des yeux l’enfant que Dieu fait rayonner,
Cherchant le plus doux nom qu’elle puisse donner
À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère :
— Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.
L’art d’être grand-père
Textes de Georges et Victor Hugo
Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame- des-Champs – Paris 6°
Du mardi au samedi à 20 h et dimanche 17 h
Compagnie Vincent Colin, adaptation et mise en scène : Vincent Colin
Avec Albert Delpy et Héloïse Godet
Scénographie : Marie Begel
Lumières : Alexandre Dujardin, costumes : Cidalia Da Costa
Durée : 1h10
Places : de 15 à 30 €
Jusqu’au 8 mai 2011
Texte publié aux Ed. de L’Harmattan