Le systématisme en art a souvent quelque chose d’artificiel qui peut vite fatiguer. L’hiver dernier, les Galeries nationales du Grand Palais proposaient Picasso et ses maîtres, avec le succès que l’on sait. Nous voici cette saison face à l’immense paysagiste Joseph Mallord William Turner (1775-1851) – mais aussi à ses peintres. La confrontation appliquée avec les prédécesseurs et les contemporains d’un grand peintre semble donc s’installer en habitude dans ces lieux. On demeure timide à s’en plaindre, car naturellement le procédé permet au visiteur de profiter en une seule exposition d’une riche variété de chefs d’œuvres. Sauf que l’artiste principal, lui, la prétendue star de l’affaire, s’en trouve toujours un peu amoindrie. Turner, ultra-connu certes, mais moins exposé toutefois que Picasso, ne méritait-il pas une exposition à lui tout seul consacrée ? Imaginez une centaine d’œuvres du grand Turner (encore faut-il les réunir) : quel bain revigorant !
Ici, près de cent peintures, études et gravures de différentes et belles factures se proposent de retracer le cheminement artistique – très fécond – du peintre britannique. Ses inspirations, ses admirations, son désir de les dépasser foisonnent en tous sens. Mais, outre que les parallèles ne sont pas tous convaincants, on a parfois le sentiment de voir la singularité et la puissance créatrice de Turner un peu écrasées par les grands maîtres avoisinants, tels que Rembrandt, Titien, Watteau, Véronèse…
Et pourtant ! Quelle liberté de touche, de couleur, et parfois même de composition ! Comme personne avant lui, Turner a exprimé la nature en mouvement, l’intranquillité d’une atmosphère, l’incertitude d’une clarté.
Un rapprochement est pour le coup éloquent : celui opéré avec le paysagiste français du XVII° Claude Lorrain, dont Turner s’était repu au Louvre. Les grandes peintures du Lorrain sont remarquables : compositions à plusieurs plans parfaites, précision, sérénité, simplicité. Rien à dire : on se trouve véritablement devant de magnifiques tableaux de paysages – avec figures d’histoire.
Moins d’un siècle après, voici Turner : entre temps, le paysage est devenu lui aussi un genre noble et le Britannique le sait fort. Avec lui, le spectateur n’est plus devant, il est dans le paysage. Cela vit, cela se palpe, irradie. Tout à coup, l’émotion gagne, vibrante comme face à ce qui est, et non plus seulement face à ce qui est représenté. Comme si un écran était tombé, celui de la toile. Et cette transparence-là, William Turner la doit sans doute avant tout à lui-même.
Turner et ses peintres
Galeries nationales, Grand Palais
M° Franklin-Roosevelt ou Champs-Elysées-Clemenceau
Jusqu’au 24 mai 2010
TLJ : de 9 h à 22 h du vendredi au lundi ; de 9 h à 14 h le mardi
de 10 h à 22 h le mercredi et de 10 h à 20 h le jeudi. Fermé le 1er mai
Entrée 11 € (TR 8 €).