Les herbes folles. Alain Resnais

Les herbes folles, Alain ResnaisQuelle chance de trouver quelques salles qui projettent encore Les herbes folles, le dernier film d’Alain Resnais…
Dès les premiers plans au ras du sol, d’abord quelques herbes échappées du bitume, puis des paires de jambes et de souliers colorés qui trottinent fermement, une bouffée de plaisir envahit le spectateur : il sent bien là que le réalisateur va lui montrer du cinéma, du vrai, inventif et beau. A l’arrivée : un Resnais plus aérien que jamais.

La caméra tourne autour du visage de Sabine Azéma dans la Galerie du Palais-Royal, chevelure rouge sur fond de grille à pointes dorées dans un coin de ciel bleu d’hiver : flamboyant juste comme il faut, premier coup de pinceau de notre Resnais à son héroïne Marguerite, rouge et incandescente, désirable et désirante. Un sac jaune comme un soleil s’élance dans les airs, le sac à main de Marguerite, volé comme dans un courant d’air chaud ascendant : si cet incident, le vol de ce sac n’était pas arrivé, nous dit la voix off d’Edouard Baer, faussement ingénue, toute la suite, évidemment… On se rappelle Smoking / No smoking

Car le rouge portefeuille du sac jaune dérobé finit par arriver, quelques kilomètres plus loin, aux pieds de Georges Palet (ce jeu avec les noms, quel régal), joué par André Dussollier, jeune retraité dont le calme apparent ne masque guère une agitation intérieure des plus troubles… et troublantes. Le voici dans le halo de lumière de la lampe en verre vert de son bureau, prêt à appeler Marguerite nuitamment pour la prévenir, déjà obsédé par deux photos d’identité, un nom et un prénom…
Une drôle d’histoire d’amour est en route, très vite démarrée dans la tête de Georges. Les faits, eux, mettent plus de temps à venir. Tout le monde a le droit de se faire des idées lui écrit Marguerite pour clore l’affaire. Croirez-vous qu’elle s’arrête là ? Gardons à l’esprit l’incandescence de Marguerite ; qui plus est, pas du tout du genre à se laisser consumer…

Autour d’eux, Alain Resnais fait vivre des personnages secondaires tout aussi parfaits ; il les aime autant que les premiers. Des flics (Mathieu Almaric et Michel Vuillermoz) nommés Bernard de Bordeaux et Lucien d’Orange que l’on adore. Une Emmanuelle Devos les deux pieds sur terre qui décolle au premier courant d’air frais entré par la fenêtre de sa voiture. Anne Consigny en épouse plan-plan qui s’abandonne elle aussi à la passion de Georges pour Marguerite.
Il y a au sol et dans le ciel un avion façon Saint-Exupéry de très grande importance aussi ; des fleurs autres que Marguerite, jusque dans les lieux ; des herbes folles et une pelouse tondue de près qui ne trompe personne. Sur la route qui sépare Marguerite et Georges, il y a des feux qui passent au rouge, puis au vert, puis au rouge ; et aussi du cinéma, un film de cinéma dans une salle de cinéma, et un baiser de cinéma avec une musique de cinéma. Il y a… mille choses, les mille reflets de la fantaisie d’Alain Resnais (87 ans) : brillante, colorée, follement réjouissante.

Les herbes folles
Un thriller amoureux d’Alain Resnais
Avec Sabine Azéma, André Dussollier, Anne Consigny, Mathieu Almaric, Emmanuelle Devos…
Durée 1 h 44

Les herbes folles est adapté du roman de Christian Gailly L’incident. Il a reçu le Prix exceptionnel du Jury au dernier festival de Cannes et est nominé dans 4 catégorie pour les César 2010, dont le César du meilleur film.

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Vincere. Marco Bellocchio

Bellocchio, Vincere

Fresque de l’histoire politique italienne des années 1910 aux années 1930, Vincere montre l’ascension de Benito Mussolini, jeune homme socialiste et pacifiste de la région de Trente, bien vite devenu belliciste et fasciste. Galvanisant les foules, son charisme mais aussi sa volonté et son opportunisme le mèneront au faîte du pouvoir. Dans l’ombre de cette victoire éclatante, drame pour l’Italie et pour l’Europe, se déroule durant ces mêmes décennies une autre tragédie : celle d’Ida Dalser, jeune femme aussi belle qu’intelligente, folle amoureuse du futur maître de Rome et qui pour lui sacrifia tout, sa fortune, sa vie, son fils.

Si au départ Mussolini est lui aussi des plus passionnés (avec une attraction charnelle très forte), dès le déclenchement de la guerre de 1914, alors qu’Ida est enceinte, il la raye de sa vie et ne veut plus en entendre parler. En 1915, le petit Benito Albino naît, mais Mussolini avait déjà une fille et c’est avec la mère de celle-ci qu’il mènera sa vie conjugale et aura d’autres enfants.
Ida est encore très jeune quand le Duce l’abandonne, mais jamais elle ne détournera les yeux vers un autre homme ; elle aime aveuglément son héros et estime avoir seule sa place auprès de lui. Elle se battra, écrira à toutes les autorités du pays, agira de façon inconsidérée ; elle n’essuiera que brimades, humiliations, jusqu’à l’enfermement psychiatriques, d’elle-même d’abord puis de son fils. Tous deux y mourront, dans la souffrance et l’oubli.

Autant l’histoire est affreuse, autant Marco Bellocchio la filme de façon brillantissime. Comme si rien n’était trop beau, ni de trop, il a toutes les audaces. Il y a de l’opéra, du théâtre, et une musique incroyable (signée Carlo Crivelli) ; des trouvailles à chaque plan, une modulation du rythme, un souffle qui tient jusqu’au bout. Bellocchio convoque la peinture (terrifiante inauguration par le Duce de l’exposition Futuriste en 1917) et surtout le cinéma, au service de la grande Histoire (avec les images d’archives du triomphe du fascisme), mais aussi de l’histoire d’Ida (scène poignante où elle découvre le Kid de Charlie Chaplin au début des années 1920).
Du destin sordide d’Ida Dalser, il fait une tragédie magnifique, la montrant en héroïne sans cesse inspirée et refusant toujours la pitié. Remarquablement dirigée et douée, Giovanna Mezzogiorno tient son rôle au cordeau de bout en bout. Le cinéaste met en scène l’ascension du dictateur en faisant jouer Filippo Tim d’abord, puis par la seule puissance d’images d’archives savamment montées, et enfin (sacrée idée), par le truchement du fils Benito Albino imitant son père (joué par le même Filippo Tim). En parallèle, il dénonce avec non moins d’efficacité et d’inventions l’horreur des institutions psychiatriques de l’époque et la doucereuse complicité de l’Eglise. Mais il sait aussi créer des moments d’une poésie folle, comme cette scène inoubliable où, accrochée aux hautes grilles de l’hôpital, Ida regarde la neige tomber comme sont tombées ses lettres jetées au ciel avec toute la foi et la rage de son amour.

Vincere
Un drame de Marco Bellocchio
Avec Giovanna Mezzogiorno, Filippo Timi, Fausto Russo Alesi
Durée 1 h 58

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Le ruban blanc. Michael Haneke

Le ruban blanc, Michael HanekeLa réalisation est superbe ; elle mérite peut-être à elle seule la Palme d’Or descernée à Michael Haneke au 62ème Festival de Cannes.
Tourné à l’origine en couleurs afin d’imprimer à la pellicule toutes les sensibilités de la lumière, le film a été ensuite longuement travaillé pour obtenir une photo au noir et blanc très délicat, qui restitue la splendeur tristes des paysages ruraux du nord de l’Allemagne.
Les comédiens ont été soigneusement choisis – surtout les enfants – en fonction notamment de leurs traits, pour qu’ils soient crédibles dans le temps du film – 1913. Ces jeunes visages qui pourraient bien avoir un siècle contribuent à l’incarnation époustouflante des personnages, dirigés avec une grande maîtrise par le réalisateur autrichien. La mise en scène, le montage, fluides et rapides, ne se voient pas à force de science de l’art, tout comme la durée du film, bâti sur un scénario solide et délicieusement égarant. Il démarre très vite, avec une succession d’étranges événements survenant dans cette communauté paysanne de Prusse construite autour du pasteur, de l’instituteur, du médecin, de l’aristocrate propriétaire du domaine et de son régisseur. Le médecin est victime d’un "accident" de cheval provoqué par un câble, le fils du baron est brutalisé, un nourrisson exposé au froid glacial… La criminalité se déploie, insidieusement, imprévisible, jamais résolue, à peine regardée en face, de plus en plus cruelle. Alors même que sous la haute autorité morale des institutions et des pères en général, du pasteur en particulier, une éducation stricte est donnée aux enfants, celui-ci allant jusqu’à attacher aux bras de sa progéniture un ruban blanc censé lui rappeler l’impératif de pureté et d’innocence. Innocence, tout est dit ou presque puisque Haneke distille au contraire la thèse de la culpabilité des enfants… Culpabilité qui renverrait à celle, vingt ans après, de la génération qui a mis les Nazis au pouvoir. Cette éducation protestante rigoriste et la violence qu’elle contient auraient engendré des adultes capables du pire.
Est-si simple ? On touche là à la faiblesse du film : son fond. Car au delà des limites de la thèse historique contestable, le film est en tout état de cause totalement monolithique. Si l’on est intimement convaincu des ravages d’un dressage brutal et sclérosant infligé aux enfants, le propos perd de sa force lorsqu’il utilise toujours les mêmes arguments et illustrations. Ne disant qu’une chose, le film tourne sur lui-même et finit par tourner un peu à vide.
Malgré ce manque de nuances, Le ruban blanc reste un magnifique objet cinématographique et réserve même quelques passages émouvants, comme celui où un petit orphelin interroge sa grande sœur et finit par comprendre de la bouche de son aînée si tendre et aimante, mais franche face à ses questions, ce qu’est la mort. Certainement le plus beau moment du film, sur un immense fond noir.

Le ruban blanc (Das Weiße Band – Eine deutsche Kindergeschichte)
Un drame de Michael Haneke
Avec Christian Friedel, Ernst Jacobi, Leonie Benesch…
Durée : 2 h 24 min

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Un prophète. Jacques Audiard

Un prophete de Jacques AudiardDurant 2 h 35, le réalisateur de Sur mes lèvres et De battre mon cœur s’est arrêté nous plonge dans l’enfer du monde carcéral. On en sortira que lors de brèves permissions, lesquelles ne sont d’ailleurs que le prolongement d’un même univers : celui du trafic et de la violence.
Le cinquième long métrage de Jacques Audiard n’a pourtant rien d’un documentaire. Le cinéaste raconte une véritable histoire, par laquelle il fait naître et déploie des personnages de fiction, comme seuls les grands romans et les grands films savent le faire.
Au départ, on découvre un jeune arabe de dix-neuf ans, Malik, qui passe à l’ombre pour six ans pour avoir agressé un policier à l’arme blanche. Mais dans l’ombre, Malik paraît y avoir été depuis sa naissance. Famille ? Amis ? Ecole ? Nada. Pense-t-il seulement, est-on tenté de se demander face à cette forme inachevée et muette qui entre là sans aide ni bagages, comme il semble avoir traversé sa courte vie.
La prison, avec ses clans et ses lois, lois arbitraires de la force, Etat dans l’Etat sans droit, amènera le jeune homme à subir de nouvelles règles et de nouveaux codes, puis à les accepter pour s’y adapter, et enfin à devenir quelqu’un.
Le film n’est que coups, virilité, injustice et noirceur. La morale n’a rien à voir dans cette affaire-là. Est-ce à dire que les questions humaines n’y ont pas leur place ? Naturellement non. Se déroulent sous nos yeux la formation d’un homme, la lutte pour la survie dans une société qui pour n’être point animale est bien humaine, mais aussi la chute d’un patriarche et le renversement des jeux de domination. En parallèle, grâce à l’amitié que Malik a nouée avec un ancien détenu, le monde extérieur existe, avec une femme, un enfant. Au début de l’histoire, ces valeurs-là ne semblaient pas exister pour le personnage.
Il est donc long le chemin parcouru par Malik pendant ces deux heures et demi. Pour le spectateur, ce temps long passe vite, tant le scénario est solidement construit (pas si évident qu’il n’y paraît, surtout avec ses excursions hors de prison), tant le fils de Michel Audiard maîtrise son entreprise, filme magnifiquement les lieux et les personnages, et tant ceux-ci sont interprétés de façon saisissante.

Un prophète
Un film de Jacques Audiard
Avec Tahar Rahim, Niels Arestrup, Adel Bencherif
Durée : 2 h 35

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Non ma fille tu n'iras pas danser. Christophe Honoré

Non ma fille tu n'iras pas danser, Christophe HonoréC’est une œuvre sombre, dans laquelle Christophe Honoré, après trois films « parisiens » très séduisants, fait un détour par la Bretagne pour aborder avec une force inouïe les difficultés d’existence d’une jeune femme d’aujourd’hui.

Léna, interprétée par une Chiara Mastroianni enfin placée au centre de la pellicule, mère de deux jeunes enfants et séparée de leur père, vient passer quelques jours de vacances dans la maison familiale. L’y attendent mère, père, frère et sœur, bref toute sa tribu qui l’adore, mais qui en même temps lui en demande beaucoup, la juge, lui fait la morale et l’étouffe. Cerise sur le gâteau, sa chère mère, pensant savoir mieux que sa fille ce qui est bon pour elle et ses enfants, n’a pas trouvé meilleure idée que d’inviter en même temps l’ex-compagnon de Léna.

Léna se heurte à l’incompréhension de tous, à leurs excellentes intentions, mais qui sont, au fond, non dénuées d’une certaine perversité. Au départ elle résiste, renvoie chacun dans ses cordes, avant de vaciller peu à peu.
Surgit alors un conte breton du XIXème siècle, scène de noces dont l’héroïne épuise ses cavaliers jusqu’à trépas, les uns après les autres. A la fin de cette séquence littéraire audacieuse, très noire malgré costumes et musiques, l’on quitte définitivement la Bretagne pour basculer dans la seconde partie du film. Elle se déroule entièrement à Paris, dans la grisaille ou la nuit. Léna y est confrontée à d’autres obstacles, le quotidien avec ses enfants, une patronne très dure vis-à-vis de la mère célibataire qu’elle est, un amoureux trop jeune, un ex-compagnon trop « vieux ». La famille continue de graviter autour d’elle ; la sœur si puissante s’effondre ; la reine-mère avoue des renoncements passés…
A travers le personnage de Léna, le regard de Christophe Honoré sans concession sur notre société dite moderne met à cru les difficultés des femmes devant l’impérieuse nécessité d’être – entre autres – de « bonnes mères ». Si Léna donne l’impression d’en être une, proche et à l’écoute de ses enfants, on la voit rongée petit à petit par le doute sous les coups de boutoir extérieurs.
Etre mère, fille, sœur, compagne, et bonne employée : comment être tout cela à la fois, comment répondre à toutes les attentes, et, au milieu de ce maelström, où et comment placer sa liberté ? Cruelle question que Christophe Honoré pose magistralement, via une Chiara Mastroianni surprenante à chaque plan, magnifique, bouleversante.

Non ma fille tu n’iras pas danser
Un film de Christophe Honoré
Avec Chiara Mastroianni, Marina Foïs, Marie-Christine Barrault, Jean-Marc Barr,
Fred Ulysse, Julien Honoré
Durée : 1 h 45 mn

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Public Enemies. Michael Mann

Michael Mann, Public enemiesIl est beau comme un dieu (Johnny Depp lui va bien), porte magnifiquement le long manteau et le costume à rayures, plaît aux femmes et aux journalistes.
Avec son gang, il est capable de vider une banque en une minute quarante secondes. C’est dire la maîtrise du métier, l’organisation (l’appui de la mafia est utile pour la logistique), la personnalité du bonhomme.

Les braquages s’enchaînent, les halls de banque coulés marbres et or semblent du beurre. Les Une des journaux se suivent et se ressemblent, quand John Dilliger, puisque tel est son nom, ne paraît pas pressé d’arrêter ses lucratives activités.
Bref, Dilliger est devenu en quelques mois l’ennemi public n°1, une star en vérité qui fait même l’objet de films.

Côté police, Edgar J. Hoover et ses suivants n’en peuvent mais de celui qui leur file toujours sous la main et les tourne en ridicule. Ils vont devoir affiner leurs méthodes de recherche et de filature, se mettre au niveau de l’élite des dévaliseurs.
En marge des coups de feux, une idylle romantique à souhait se noue au quart de tour entre John qui veut « tout, tout de suite » et une très séduisante brunette, employée de vestiaire de son état. Marion Cotillard incarne à merveille cette jeune femme mi-fatale mi-innocente, aimantée sous les frissons par ce Dilliger qui lui promet un bonheur luxueux pour très vite.

Film de gangsters « classique », Public Enemies déploie sa somptueuse réalisation dans l’univers très bien restitué des années 1930. Plans et mouvements de caméras, esthétique de la photo, jeux des acteurs, le ballet signé Michael Mann est une splendeur.
En son centre, John Dilliger-Depp cache ses passions sous un calme – une minéralité même – impressionnantes. Le mystère qu’il dégage n’a d’égal que son irrésistible charisme.
Si Public Enemies est un de ces thrillers dont on oublie les détails de la trame aussitôt sorti de la salle, sa beauté et l’aura de son personnage, elles, restent longtemps en mémoire, comme un plaisir des yeux qui aurait laissé sa trace.

Public Enemies
Un film de Michael Mann
Avec Johnny Depp, Christian Bale, Marion Cotillard
Durée 2 h 13

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Whatever Works. Woody Allen

Whatever works, Woody AllenBeaucoup ont applaudi le retour de Woody Allen à Manhattan, se sont réjouis du côté délicieusement vintage de Whatever Works.

Appréciation vraie, mais qui en même temps a tendance à balayer un peu vite la réussite de ses films précédents, les "Européens", en particulier le dernier de la série, Vicky Cristina Barcelona. Il avait une fraîcheur revigorante, due en partie à la grâce de ses actrices, mais aussi à son scénario bâti autour de ces Américaines qui découvraient avec ingénuité et tonicité une Espagne de carte postale, dont les reliefs n’étaient pas pour autant des plus attendus.

Avec Whatever Works, notre so New-Yorkais revient au bercail et si cela lui va très bien, si on passe avec ce film un moment extra, il faut tout de même reconnaître que c’est cette fois un Woody Allen beaucoup plus convenu que les précédents. Il ne s’agit pas de bouder son plaisir, mais le revers de la tradition retrouvée a une couleur quelque peu sépia…

L’histoire est celle d’un septuagénaire grincheux, hypocondriaque et misanthrope, mais non dénué de génie (génie pour quoi ? est l’une des questions du film ; on sait très vite qu’il a quand même raté de peu le Prix Nobel de physique). Notre Boris, donc – un double de Woody Allen incarné par Larry David de façon très convaincante – rencontre (ou plutôt est alpagué par) une gamine de vingt ans tout fraîchement débarquée de sa province, aussi idiote que ravissante. Comme elle a tout à apprendre, de New-York comme de la vie, elle s’attache à ce lucide vieux cinglé, adopte à sa façon sa vision désabusée et lui demande de l’épouser. Il refuse, puis il accepte, les voilà mariés et peu après débarquent les beaux-parents, séparément puisqu’ils sont désormais séparés, mais aussi ploucs républicains dégoulinants de religiosité l’un que l’autre. C’est ainsi que la galerie de portraits hilarants se complète, au fil de dialogues jubilatoires de bout en bout.

Mais ce que Whatever Works a de profondément séduisant tient en même temps à la petite philosophie qui s’en dégage, dont la pierre fondamentale est posée d’emblée par notre physicien de génie (voici donc la réponse à la question initiale) : Le tout est que ça marche. Ce qui n’est dit qu’au fur et à mesure du film, c’est l’implicite de la maxime : "Le tout est que ça marche… ici et maintenant en tout cas". Alors l’union d’une écervelée et d’un nobellisable, OK, tant que ça marche. Et le reste, idem.
Mais s’il se trouve que la vie – "le destin" ! – fait évoluer les choses, et bien tant pis, et bien tant mieux, tout est bouleversé, les personnes changent de point de vue, d’idées, d’envies, de vie… "le tout est que…".
Bref, Woody Allen ouvre ici grand la porte au hasard, fait de son anti-héros associable et angoissé un philosophe qui accepte les événements tels qu’ils viennent, et délivre dans ce film une morale des plus vivifiantes, où rien ni personne n’est figé, où ce qui fait évoluer, les surprises et les rencontres constituent tout le sel de l’existence.

Whatever Works
Une comédie de Woody Allen
Avec Larry David, Evan Rachel Wood, Ed Begley Jr., Patricia Clarkson, Henry Cavill, Michael McKean…
Durée 1 h 32

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Ponyo sur la falaise. Hayao Miyazaki

Ponyo sur la falaise, MiyazakiUn petit poisson rouge du genre féminin vivait en eau profonde avec ses sœurs et sa mère, enfermées dans un royaume sur lequel régnait un savant un peu fou. Ennemi des hommes, il préparait le retour du monde marin sur la terre et surveillait de près ses nombreuses créatures.
Juste de l’autre côté du rivage, tout en haut de la falaise, vivaient le petit Sosuke et sa jeune maman, toute énergique et très aimante de ses prochains. Quant au papa, on ne le voyait jamais que sur son bateau, d’où il envoyait des mots tendres, en morse, à Lisa son épouse et à leur fils.

Mais le destin de nos deux petits êtres changea le jour où, aventurée hors de sa prison dorée, le petit poisson rouge rencontra Sosuke sur la plage. Ils s’aimèrent immédiatement et n’envisagèrent plus de se quitter. C’était oublier le vieux luné des fonds marins qui n’escomptait pas laisser son poisson hors de l’eau où, rebaptisée Ponyo, elle deviendrait une petite fille…

Bienvenue dans un monde où le quotidien côtoie le merveilleux, le prosaïque le magique et la modernité de notre temps l’imaginaire le plus débridé. Au fil d’une narration qui captive petits et grands de bout en bout, Miyazaki nous plonge dans un très bel univers, débordant de couleurs et accueillant.
Il dessine des personnages singuliers, totalement incarnés, auxquels il attache le spectateur sans que son histoire ne frôle la mièvrerie.
Il suffit d’aimer les grands contes pour abandonner sa raison et se laisser embarquer, deux heures durant, dans ce voyage japonais où l’amour et l’authenticité rendent la grâce possible. A coup sûr qu’à tout âge, on en reviendra enchanté.

Ponyo sur la falaise De Hayao Miyazaki
Avec les voix de Tomoko Yamaguchi, Hiroki Doi, Kazushige Nagashima…
Durée : 1 h 41 min
Film pour enfants à partir de 6 ans

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Gran Torino. Clint Eastwood

Gran Torino, film de Clint EastwoodWalt Kowalski, vieil homme à l’ancienne, droit comme un i (incarné par Clint Eastwood soi-même), planté de longue date dans ses principes, enterre son épouse.
La descendance se tient à distance de ce caractère inflexible, tout en guettant l’héritage, qui le divan, qui la maison, qui la Ford Gran Torino – déesse faite automobile, que Walt entretient savamment, polit jalousement.

Veuf, Walt Kowalski se retrouve désormais seul, au fil de journées sans surprise. Ses travaux de bricolage terminés, il s’assied devant sa porte, sa chienne Daisy et sa glacière à ses côtés, et là, il boit des bières, fume et fulmine.
Et lorsqu’il voit débarquer dans la maison voisine une famille asiatique de plus, ses souffrances d’ancien combattant de la guerre de Corée, son amertume et son racisme s’exacerbent contre ces ‘faces de citrons" exécrées.

Pourtant, c’est pour d’autres motifs que Walt ressortira sa vieille arme.
Car au dessus de ses petites haines ordinaires, il y a la haine de la violence faite aux enfants et aux femmes, y compris le mal qu’il a lui-même commis et qu’il ne se pardonne pas.

Gran Torino commence tranquillement, avec ses personnages bien posés, son scénario que l’on sent sûr de ses arrières.
Mais, petit à petit, Clint Eastwood se met à nous "promener", à nous surprendre en dessinant des personnages de plus en plus attachants.
Sa mise en scène, indémodable, son épure, qui est la marque de son style, ne font pas pour autant de son film un cinéma prévisible – la fin nous le rappelera si besoin est. Quant à l’humour et l’auto-dérision, ils viennent rappeler que cet immense cinéaste sait ne pas se prendre au sérieux et insufflent à ce drame un souffle de tendresse irrésistible.

Clint Eastwood ramasse dans ce film les thématiques qui lui sont chères avec une incroyable efficacité. Il évoque à nouveau la rédemption, bien sûr ; mais il s’obstine surtout, et visiblement sans aucune fatigue, à dénoncer les injustices, toujours les mêmes, comme si le cœur de l‘Impitoyable ne prenait pas une ride.
Film après film, et en suscitant toujours autant d’émotion, il ne cesse d’explorer aussi le thème de la transmission, pour atteindre dans Gran Torino un sommet final qui touche au génie.

Gran Torino. Clint Eastwood
Avec Clint Eastwood, Bee Vang, Ahney Her
Durée 1 h 55

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Il Divo. Paolo Sorrentino

Il Divo, Paolo SorrentinoIl Divo, c’est aussi Belzébuth, le Renard, le Sphinx, la Salamandre, le Bossu, l’Eternité… dites simplement Giulio Andreotti et vous rassemblez sur ce nom cinquante ans de la vie politique italienne d’après-guerre.

Sept fois président du Conseil, des dizaines de fois ministre, Giulio Andreotti domina sur la Démocratie Chrétienne (DC) jusqu’à l’effondrement du parti en 1993, sous les coups des enquêtes judiciaires.
Mais, malgré les nombreuses poursuites engagées contre lui, il ne fut jamais condamné. Comment se débrouilla-t-il pour rester à l’air libre en dépit des sales affaires auxquels on le dit mêlé ? Mystère.

Ce mystère-là, le superbe film de Paolo Sorrentino ne l’éclaircit pas. Il donne cependant l’idée que c’est précisément en cultivant le secret qu’Andreotti a su se préserver des retours de bâtons, dont tout donne à croire que, par ses funestes manigances, il les aurait bien mérités.

Opportuniste, il a entretenu des liens subtils avec le Vatican, les banques, la Mafia sicilienne, la loge P2… sans compter l’affaire Aldo Moro, président de la DC, enlevé et assassiné par les Brigades Rouges en 1978, sans que son parti n’ait accepté d’en négocier le salut. De toutes ces affaires, le film, en rien didactique, ne dévoile pas les zones sombres. Au contraire, il les évoque très vite, faisant défiler les noms et les images comme dans un gigantesque "clip". On s’y perd un peu si l’on n’est pas familier de l’histoire politique italienne, mais cela n’a aucune importance, la clarté du propos d’ensemble se s’en trouve pas affectée.

Paulo Sorrentino concentre toute son attention sur son personnage, magistralement interprété par Toni Servillo (qui jouait dans Gomorra). Il en souligne le cynisme, l’écrasante présence, la puissance de frappe du verbe, la solitude extrême qui fait de lui un inconnu auprès de sa femme même, mais aussi le charisme vénéneux malgré la laideur, les épouvantables migraines et les tractations chuchotées.
Le cinéaste nous fait passer des ors des Palais au clair-obscur du studiolo, des éclats de la Chambre et des soirées mondaines au silence des archives auxquelles Andreotti se réservait seul l’accès.

Si ce portrait à charge de cet acteur incontournable de la vie politique italienne captive autant qu’il fait froid dans le dos, Paolo Sorrentino, nous offre aussi, avec ses plans plein de fantaisie qu’il enchaîne tous azimuts sur fond de bande-son rocky, une liberté de ton et de manière qui fait du Divo un très grand moment de cinéma.

Il Divo
Un film de Paolo Sorrentino
Avec Toni Servillo, Anna Banaiuto, Giulio Bosetti
Durée 1 h 40

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